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Les articles 44 et 57, du décret relatif aux marchés publics paru le 25 mars 2016, sont passés inaperçus. Ils n’ont pas fait l’objet du moindre commentaire, ils sont cependant fortement discutables sinon "critiquables"…
Ces articles stipulent que « dans les marchés publics de services ou de travaux et les marchés publics de fournitures nécessitant des travaux de pose ou d'installation ou comprenant des prestations de service, l'acheteur peut imposer aux candidats/soumissionnaires qu'ils indiquent les noms et les qualifications professionnelles pertinentes des personnes physiques qui seront chargées de l'exécution du marché public en question ».
Trois hypothèses, non exclusives les unes des autres :
C'est une exception très française, le Code du travail interdit par principe le prêt de main d’œuvre. En France, toute opération à but lucratif ayant pour but exclusif le prêt de main d'oeuvre est interdite et sévèrement condamnée. Seules les entreprises de travail temporaire et de portage salarial sont autorisées à procéder à un prêt de main d’œuvre à titre exclusif (art. L. 8241-1 du Code du Travail).
Le prêt de main d’œuvre illicite est un délit. Il est sévèrement sanctionné au pénal et au civil (Amende de 150 000 euros, dissolution ou fermeture d'établissements, interdiction d'exercer, dommages et intérêts pour les salariés prêtés, requalification de la relation commerciale en contrat de travail, ... et exclusion des marchés publics !!!). Si le prêteur est condamnable, le bénéficiaire du prêt de main d'oeuvre sera également poursuivi, il est co-auteur du délit ...
Les entreprises donneuses d’ordres doivent donc être particulièrement prudentes. A fortiori parce que ce délit peut être établi alors que les relations contractuelles n’étaient pas délictueuses au départ. Le prêt de main d’oeuvre illicite venant s’installer insidieusement au cours de la collaboration.
Le délit est constaté par le juge grâce à un faisceau d’indices définissant le prêt de main d’œuvre illicite :
Une prestation de service correspond à une tâche dont l’objet est clairement défini, la main d’œuvre n’étant qu’un moyen visant à obtenir un résultat que l’entreprise donneuse d’ordres n’aurait pas obtenu de son personnel parce que celui-ci ne dispose pas de l’expertise ou du savoir-faire requis.
Il ne s’agit donc pas, pour l'acheteur, d’acheter des CV mais bien des expertises ou savoir-faire !
C’est bien au prestataire de définir les moyens (donc les ressources) qu’il va mettre en œuvre pour apporter ces expertises ou savoir-faire. C’est pour cette raison que nombre de donneurs d’ordres exigent que les CV présentés dans une offre de conseil ou de formation soient rendus « anonymes » par les soumissionnaires.
Les article 44 et 57 du décret paru le 25 mars 2016 ouvrent la boîte de Pandore en laissant entendre que l’acheteur public peut apprécier voire exiger telle ou telle personne physique plutôt que telle ou telle expertise. Qu’il peut créer une forme de lien de subordination avec les salariés du prestataire. Une lecture « extensive » de ces articles créerait, de facto, une différence de traitement entre l’acheteur privé et l’acheteur public.
L’État envoie un message peu clair mais aussi particulièrement dangereux, s’il est compris par les entreprises et administrés comme un « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais ».
Ces articles vont susciter beaucoup de questions tant sur le fond (leur bienfondé au regard du Code du travail) que sur leurs périmètre et modalités d’usage (Ex: Quid de la formulation des clauses de stabilité des équipes ?). A n’en pas douter, de prochaines jurisprudences vont amender leurs lecture et portée.
A suivre, donc.
Consulter le décret sur Legifrance
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