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Dans deux arrêts récents, le Conseil d’Etat est venu préciser sa position sur deux sujets importants : les erreurs matérielles des candidats en appel d’offres et la possibilité de faire expressément référence aux logiciels libres dans une procédure.
A travers son arrêt du 21 septembre 2011, le Conseil d’Etat a posé comme principe que la « rectification d'une erreur purement matérielle » peut « intervenir sans méconnaître […] le principe interdisant de modifier l'offre ».
Dans cette affaire, la société candidate avait remis un bordereau de prix unitaires comportant 905 prix pour un montant total de 2 365 897 euros hors taxes, avec un prix unitaire n° 903 correspondant au transport et à la mise en centre de stockage et de traitement de déchets dangereux de classe I, s'élevant à 22 euros, montant anormalement faible. De plus, la décomposition de ce prix faisait apparaître la mention du seul prix unitaire de transport de ces déchets et omettait la ligne tarifaire correspondant à leur stockage et traitement.
Décelant cette erreur, le pouvoir adjudicateur a adressé à la société une demande de précision sur le fondement des dispositions du I de l'article 59 du code des marchés publics. Suite à cette demande, la société a procédé à la rectification de cette erreur purement matérielle et a précisé que le prix était de 220 euros et a ajouté la ligne tarifaire omise.
Sur cette base, la commission d'appel d'offres a éliminé l'offre du candidat au motif que celui-ci avait méconnu le principe d’intangibilité des offres en modifiant le prix n° 903 et par conséquent le montant de son offre.
En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré que la décision de la commission d’appel d’offres a constitué un manquement du département à ses obligations de mise en concurrence qui, eu égard au stade de la procédure auquel il est intervenu, était susceptible d'avoir lésé le candidat.
Cet arrêt pose ainsi un nouveau jalon dans l’ « approche Achat » du Conseil d’Etat. Dans son interprétation de l’article 59 du code, la juridiction privilégie ainsi l’objectif de la mise en concurrence (obtenir une véritable concurrence entre les sociétés) au formalisme de la procédure (conduisant traditionnellement à écarter les entreprises n’ayant pas rempli une ligne d’un bordereau de prix).
La haute juridiction impose ainsi à l’acheteur de dissocier l’erreur matérielle de l’omission irrégulière.
Dans le prolongement de l’arrêt susmentionné, le Conseil d’Etat a également pu rendre une décision intéressante relative à l’interprétation de l’article 6 du code des marchés publics, au titre duquel « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits ».
En effet, dans cette affaire, le pouvoir adjudicateur avait lancé une procédure ayant pour objet l’intégration et l'adaptation à ses besoins d’une solution libre (qu’il avait développé avec l’entreprise LOGICA). Les entreprises écartées ont attaqué l’attribution du marché à la société LOGICA en raison de l’utilisation de la référence à un logiciel libre.
Toutefois, le Conseil d’Etat juge que « s'agissant des marchés de services, il y a lieu, pour l'application [l’article 6], d'examiner si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle ».
En outre, adaptée au circonstance de l’espèce, le juge suprême indique qu’ « en raison du caractère de logiciel libre […] qui le rend librement et gratuitement modifiable et adaptable aux besoins de la collectivité par toute entreprise spécialisée dans l'installation de logiciels supports d'espaces numériques de travail, ne peut être regardée ni comme ayant pour effet de favoriser la société Logica qui a participé à sa conception et en est copropriétaire ni comme ayant pour effet d'éliminer des entreprises telles que les sociétés requérantes qui, tout en ayant entrepris de développer leurs propres solutions logicielles, sont spécialisées dans l'installation d'espaces numériques de travail à destination des établissements d'enseignement et disposent des compétences requises pour adapter le logiciel libre Lilie aux besoins ».
Si l’esprit de la décision du Conseil d’Etat n’est pas contestable (l’utilisation de la référence à un logiciel libre n’étant fondamentalement qu’une description de l’existant), le raisonnement suivi pour parvenir à la solution nous semble ne pouvoir être étendu à toute situation.
Tout d’abord, par principe, le caractère de logiciel libre ne rend pas nécessairement un logicel librement et gratuitement modifiable : cela signifie que seul son code source est librement consultable. Un logiciel libre peut en effet être payant et son droit à modification peut être encadré (par exemple, il peut être prévu sur certains logiciels libres qu’il ne soit pas possible de créer des œuvres dérivées à partir du logiciel libre).
Ensuite, quant à l’impact sur la concurrence, la solution du Conseil d’Etat peut se révéler juste si le pouvoir adjudicateur a fourni aux autres sociétés les éléments leur permettant de proposer une offre dans les mêmes conditions qu’à la société LOGICA, conceptrice du logiciel. Les candidats ont-ils tous eu accès au code source pendant la consultation ainsi qu’à la documentation associée, éléments de contexte suffisamment précis etc…
Présupposons le en l’espèce, mais gageons qu’il y va du rôle des acheteurs que de garantir les conditions d'une mise en concurrence optimale pour permettre à l’ensemble des candidats de se positionner.
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